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Art-thérapie et psycho traumatisme : une revue intégrative

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par Alice Albertini, MA, Art-thérapeute

Cet article aborde l'art-thérapie plastique.

 

Le traumatisme psychique ne se résume pas à un « mauvais souvenir ». Il laisse une empreinte durable dans le corps, la mémoire et le lien aux autres. Accidents, violences sexuelles, maltraitances, guerre, migration, pandémie : une part importante des personnes que nous rencontrons en thérapie porte ces blessures persistantes. Quand les mots ne suffisent plus ou deviennent eux-mêmes menaçants, l’art-thérapie propose une voie distincte et créative : passer par le geste, la matière et l’image pour restaurer une continuité intérieure et une intégration de l’indicible.

Cet article propose une revue non exhaustive qui allie recherche, neurosciences et pratiques cliniques, ainsi que sur des conférences qui ont été présentées au Sommet d’art-thérapie francophone 2025.

Dans cet article, nous abordons la définition du psychotraumatisme, avant de présenter pourquoi l’art-thérapie – plastique - est une solution pertinente dans ce domaine, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe.

L’objectif est d’offrir une introduction nuancée – et forcément partielle – de ce que l’art-thérapie peut apporter au traitement du traumatisme psychique aujourd’hui.  Nous mettons aussi l’emphase sur le contenu des conférences du Sommet d’art-thérapie qui abordaient le traumatisme. Le coffret de ces conférences (disponible en ligne) est  une ressource précieuse pour tous ceux et celles qui s’intéressent au sujet de l’art-thérapie et du psychotrauma.

 

 

1) Comprendre le traumatisme aujourd’hui

Le traumatisme psychique désigne un choc dans l’intégrité psychique d’une personne, provoqué par un événement ou une série d’événements qui débordent sa capacité d’y faire face et de l’intégrer. Judith Herman (2015) distingue le trauma simple (lié à un événement ponctuel) du trauma complexe, issu d’expositions prolongées à la violence, à la négligence ou aux abus, en particulier durant l’enfance. Ces traumatismes développementaux attaquent l’image de soi, la confiance relationnelle et la régulation émotionnelle.

Le psychiatre Bessel van der Kolk (2018) rappelle que dans l’expérience du traumatisme « le corps n’oublie rien » : les souvenirs traumatiques ne s’organisent pas comme une histoire passée, mais comme un état d’alerte présent,  toujours prêt à se réactiver dans le système nerveux. Flashbacks, hypervigilance, cauchemars, anesthésie émotionnelle et troubles somatiques témoignent de cette mémoire implicite qui ne trouve pas de complétion. Peter Levine (2024), auteur du livre « Réveiller le tigre », décrit cette réalité comme une « énergie gelée » dans le corps, prise dans les réponses au stress : figement, fuite, lutte (fight/fight/freeze).

La théorie polyvagale de Stephen Porges (2021), diffusée cliniquement par Deb Dana (2023), éclaire ces états. Le système nerveux autonome oscille entre plusieurs modes : sécurité et lien (vagal ventral), mobilisation (sympathique), shutdown (vagal dorsal). En perception de menace ou d’impuissance, beaucoup de personnes traumatisées se retrouvent figées ou coupées d’elles-mêmes, même s’il n’y a pas de danger immédiat. Comme le montre Carmen Oprea dans sa conférence, l’objectif n’est pas seulement de parler de ce qui s’est passé, mais de retrouver une perception de sécurité, la capacité à sentir que, ici et maintenant, le corps peut se détendre.

Herman insiste aussi sur la dimension politique du trauma : violences sexuelles, inceste, violences conjugales, torture, guerre, colonialisme… Ces expériences ne sont pas isolées de l’histoire collective (2015). Elles sont souvent niées ou minimisées socialement, ce qui constitue une seconde blessure. Au Sommet d’art-thérapie 2025, Mia Hébert et Annie Boyer-Labrouche ont rappelé comment l’art-thérapie permet de travailler à la fois la blessure intime et le silence social qui l’entoure, en faisant de la création un lieu de dignité plutôt que de pathologisation.

Pour voir ces conférences, le coffret d’art-thérapie 2025 est disponible ici.

 

2) Pourquoi l’art-thérapie est pertinente face au trauma

L’art-thérapie vient précisément là où le langage atteint ses limites. Après un choc, de nombreuses personnes ne peuvent pas «"raconte" l’indicible. Soit les mots manquent, soit ils déclenchent une reviviscence trop intense. L’art-thérapie permet de ne pas avoir à revivre ce récit : elle propose plutôt un espace pour tracer, modeler, coller, déchirer, recomposer, grâce au processus créatif et les matériaux. Le médium artistique devient une langue tierce, qui autorise la distance, la métaphore et l’ambiguïté.

Depuis les années 1970, des études cliniques montrent que, chez les enfants exposés à la guerre, aux deuils violents ou aux abus, les séances d’art-thérapie diminuent l’angoisse, les cauchemars et certains troubles comportementaux. À partir des années 2000, des études contrôlées apparaissent. Lyshak-Stelzer et ses collègues (2007) montrent qu’un groupe d’adolescents présentant un SSPT et engagé dans un « livre de vie » illustré voit ses symptômes diminuer.

Une revue systématique récente de Morison et al. (2022) confirme que les interventions basées sur les thérapies créatives (arts visuels, musique, dramathérapie, danse) améliorent les symptômes de STPT (syndrôme de stress post traumatique) et la qualité de vie, en particulier chez les enfants et adolescent·es exposés à des événements traumatiques.

Cathy Malchiodi parle des art-thérapies « informées par le trauma » : ces approches intégratives articulent régulation émotionnelle de l’activation, extériorisation graduée du vécu, travail sensorimoteur et réparation du lien (2020). L’australienne Cornelia Elbrecht, avec le Clay Field (2019) et le guided drawing (2012), montre comment la matière et le geste deviennent des miroirs sensoriels du corps traumatisé, permettant une réparation implicite là où le discours reste bloqué. Pour voir sa conférence traduite en français, cliquez ici.

Dans cette perspective, l’art-thérapie est une modalité de soin, basée sur la science, qui s’inscrit pleinement dans le champ du traitement du psychotraumatisme, à condition d’être pratiquée dans un cadre clinique solide.

 

3) Neurosciences, corps et création : ce que la science dit

Les apports des neurosciences ont profondément renouvelé notre compréhension du traumatisme et enrichi le rôle de l’art-thérapie. Hass-Cohen et Findlay, (2015) Juliet King (2016) ou encore Gantt et Tinnin (2009) montrent que l’acte créatif mobilise simultanément plusieurs réseaux neuronaux : sensorimoteur (geste, posture, contact), émotionnel (système limbique) et cognitif (mise en forme, choix, symbolisation). La création agit comme un « pont » entre des zones du cerveau qui, après un trauma, ont tendance à fonctionner en vase clos.

Cathy Malchiodi (2020) insiste sur la neuroplasticité : même après des événements difficiles, le cerveau conserve une capacité de changement. Ce potentiel ne se déploie toutefois que dans un cadre suffisamment sécuritaire et répétitif, où la personne peut expérimenter à la fois la relation thérapeutique, le jeu créatif et la diversité des matériaux. L’art-thérapie offre précisément ce type de contexte : temps dédié, règles claires, gestes répétés, liberté d’exploration dans des limites contenantes.

La théorie polyvagale (Porges,2021; Dana, 2023) vient compléter ce tableau. Comme le montre Carmen Oprea, le travail sur les rythmes, les textures, la respiration et la posture, dans un cadre artistique, permet d’envoyer au système nerveux des signaux sécurisants. La ligne sur le papier, la couleur peinte doucement, la texture de l’argile, deviennent des micro-expériences où la personne réapprend à se détendre sans perception de danger.

Les approches sensorimotrices de Cornelia Elbrecht illustrent une logique « bottom-up » : partir du ressenti corporel plutôt que du récit. À partir d’une tension (« boule dans l’estomac », gorge serrée), la personne est invitée à dessiner avec les deux mains, de manière rythmique et bilatérale sur un grand papier. Le geste se transforme peu à peu : d’un mouvement tendu et fragmenté, il devient plus fluide, parfois enveloppant. Ce passage du ressenti brut à une action symbolique régulatrice permet de dégeler progressivement l’énergie figée dans le système nerveux. Vous pouvez visionner sa conférence passionnante en cliquant ici.

Johanne Hamel, avec l’art-thérapie somatique, articule image interne, sensation corporelle et symbolisation. Pour elle, les images produites ne sont pas seulement des métaphores visuelles : ce sont des condensés d’expériences sensorielles. Travailler sur ces images – les décrire, les modifier, les relier au ressenti présent – contribue à reconstruire un « moi incarné » là où le trauma a fracturé le lien entre psyché et corps.

 

 

4) Perspectives cliniques francophones

En France, une partie importante de la clinique du trauma en art-thérapie est marquée par l’héritage psychanalytique. Jean-Pierre Klein rappelle que l’inconscient ne se réduit pas à un réservoir de symptômes : il est aussi une source de créativité et d’innovation. L’art-thérapie, dans cette lignée, ne cherche pas à « interpréter » chaque image, mais à accompagner un processus de transformation d’une œuvre à l’autre.

Alain Dikann décrit le traumatisme comme un effondrement de sens qui nécessite un travail de reprise par étapes : stabilisation, expression de la scène traumatique, élaboration de sens, puis réinscription dans le quotidien. À chaque phase, l’art-thérapie apporte quelque chose de spécifique : travail sur la sensorialité et les limites, représentation de scènes indicibles, jeux d’échelle et de point de vue, création de figures ressources.

Annie Boyer-Labrouche insiste sur la valeur du cadre : temps, espace, règles et présence du thérapeute forment une enveloppe que Didier Anzieu appelle le « Moi-peau » symbolique. Le médium artistique devient un « troisième partenaire » entre patient et thérapeute, un espace transitionnel au sens winnicottien, où la personne peut déposer sa terreur, sa honte, sa colère, sans être entièrement submergée.

Du côté québécois, les approches présentées au Sommet 2025 mettent l’accent sur le corps, la théorie polyvagale et la dimension sociale du trauma. Carmen Oprea travaille avec des personnes aux traumatismes complexes, en particulier au sein des Premières Nations, en articulant psychoéducation, repérage des états du système nerveux et gestes créatifs régulateurs. Marie-pier Malo, avec L’Arbre aux galets, propose un dispositif d’art-thérapie sociale où chacun peint un galet en lien avec ses pertes post-pandémie, avant de le déposer dans une sculpture collective – un rituel de mémoire et de réparation partagée.

Mia Hébert, quant à elle, accompagne les survivant·es d’agressions sexuelles. Elle insiste sur le consentement, le respect du rythme, et l’usage de métaphores visuelles (portes, seuils, paysages) pour permettre une reconstruction identitaire sans exposition brutale. Emily Hawkes et Cécile Perrier, avec le journal créatif, montrent comment l’écriture, le dessin et le collage peuvent tisser un fil entre mémoire implicite et émergence de sens.

Ces contributions francophones – françaises et québécoises – témoignent d’une art-thérapie du trauma à la fois ancrée dans la recherche internationale et attentive aux contextes sociopolitiques spécifiques (violences sexuelles, colonialisme, pandémie, précarité). Le Coffret 2025 permet de les voir à l’œuvre, dans des dispositifs concrets, au-delà de ce que peut décrire un article. Cliquez ici pour en savoir plus.

 

 

5) Les défis de l’art-thérapeute face au traumatisme

Accompagner le trauma en art-thérapie est un travail exigeant. La première responsabilité est la contenance : offrir un cadre suffisamment solide pour que des contenus bruts puissent émerger sans déborder. Cela implique un lieu structuré, une temporalité stable, des règles claires, mais aussi la capacité de l’art-thérapeute à rester présent-e face à des productions intenses parfois.

Vient ensuite la régulation. La création peut faire surgir l’affect plus vite que la parole. Un simple trait, une couleur, une texture peuvent déclencher un flashback ou une dissociation. L’art-thérapeute doit savoir repérer les signes de débordement (regard vide, agitation, raidissement) et ajuster le processus : ralentir, changer de médium, proposer un dessin ressource, revenir à l’ici-et-maintenant, travailler sur la respiration ou l’ancrage. L’objectif n’est pas « d’aller au plus profond » à tout prix, mais de rester dans la fenêtre de tolérance.

Les questions de transfert et de contre-transfert sont également importantes. Les personnes traumatisées testent souvent la fiabilité du cadre et de l’art-thérapeute. En retour, l’art-thérapeute peut être touché-e, remué-e, parfois épuisé-e. D’où la nécessité d’une supervision régulière, d’un travail sur soi et de pratiques de self-care. Sans cela, le risque de trauma vicariant risque d’affecter l’art-thérapeute, qui ne sera plus en mesure d’aider son ou sa client-e.

Plusieurs conférences du Coffret 2025 abordent le thème du traumatisme et montrent comment travailler avec les personnes de manière professionnelle et éthique.

 

 

 

Prolonger la réflexion avec le Coffret d’art-thérapie 2025

Penser le traumatisme à travers l’art-thérapie, c’est renoncer à l’illusion d’une réparation uniquement cognitive ou verbale. Le psychotrauma touche la mémoire, le corps et le lien. Il dérègle le système nerveux, fragilise le sentiment de soi, abîme la capacité à vivre sa vie en paix. Dans un cadre clinique structuré, l’art-thérapie permet de rouvrir des passages là où tout semblait figé : par le geste, la matière, les symboles, et surtout par la relation thérapeutique avec l’art-thérapeute.

Les recherches et la littérature abordées rapidement dans cet article le montrent : l’art-thérapie aide la personne accompagnée à voir ses symptômes post-traumatiques diminuer, soutient la régulation émotionnelle et contribue à restaurer à un rétablissement de la personne. Les neurosciences offrent un langage supplémentaire pour comprendre ce que les clinicien·nes observent au quotidien : la création engage le cerveau, le corps et l’imaginaire dans un même mouvement de recomposition.

 

Le Coffret du Sommet d’art-thérapie francophone 2025 a présenté plusieurs conférences qui abordaient le traumatisme:

Pour mieux soigner le traumatisme et l’état destress post- traumatique par Alain Dikann

- L’arbre au galets: Accompagner les traumas collectifs et le deuil par Marie-Pier Malo

- Trauma & dessin bilatéral(vostfr) par Cornelia Elbrech pour voir sa conférence gratuitement, clique ici.

Journal créatif et approche centrée solutions par Emily Hawkes & Cécile Bertrand

- La valeur thérapeutique de l'art par Annie Boyer Labrouche

- L'art-thérapie, trauma et théorie polyvagale par Carmen Oprea

- L'art-thérapie et le trauma par Dominique Sens

 

Pour approfondir sa clinique, ces conférences exclusives sont maintenant disponibles dans le coffret d'art-thérapie 2025 à 50% de rabais.

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Références

  • Dana, D. (2018). The Polyvagal Theory in Therapy. Norton.
  • Dana, D. (2023). S’ancrer dans la sécurité : Guide pratique de la théorie polyvagale. In S’ancrer dans la sécurité. EDP sciences.
  • Elbrecht, C. (2012). Trauma healing at the clay field: A sensorimotor art therapy approach. Jessica Kingsley Publishers.
  • Elbrecht, C. (2019). Healing trauma with guided drawing: A sensorimotor art therapy approach to bilateral body mapping. North Atlantic Books.
  • Gantt, L., & Tinnin, L. W. (2009). Support for a neurobiological view of trauma with implications for art therapy. The Arts in Psychotherapy36(3), 148-153.
  • Hamel, J. (2021). Somatic Art Therapy. In Somatic Art Thérapie (pp. 7-9). Routledge.
  • Herman, J. L. (2015). Trauma and recovery: The aftermath of violence - from domestic abuse to political terror. Hachette uK.
  • Hass-Cohen, N., & Findlay, J. C. (2015). Art therapy and the neuroscience of relationships, creativity, and résilience: Skills and practices. WW Norton & Company.
  • King, J. (2016). Art Thérapie, Trauma and Neuroscience. Routledge.
  • Klein, J. P. (2014). Initiation à l'art-thérapie - Découvrez-vous artiste de votre vie. Marabout.
  • Lyshak-Stelzer, F., Singer, P., St. John, P., & Chemtob, C. M. (2007). Art therapy for adolescents with posttraumatic stress disorder symptoms: A pilot study. Art Therapy, 24(4), 163-169.
  • Levine, P. A., & Schittecatte, M. (2019). Réveiller le tigre : guérir le traumatisme. InterÉditions.
  • Levine, P. A. (2024). Guérir par-delà les mots : comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être. Interéditions.
  • Malchiodi, C. A. (2020). Trauma and expressive arts therapy: Brain, body, and imagination in the healing process. The Guilford Press.
  • Morison, L., Simonds, L., & Stewart, S.-J. F. (2022). Effectiveness of creative arts-based interventions for treating children and adolescents exposed to traumatic events: A systematic review of the quantitative evidence and meta-analysis. Arts & Health: An International Journal for Research, Policy and Practice, 14(3), 237–262.
  • Porges, S. W. (2021). La théorie polyvagale. EDP sciences.
  • Van der Kolk, B. (2018). Le corps n’oublie rien : le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme. Albin Michel.

 

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