L’art-thérapie adaptée pour prévenir le burn-out
Introduction
Katherine, une infirmière épuisée participe à un atelier d’art-thérapie offert à l’hôpital ou elle travaille. L’art-thérapeute lui propose de choisir parmi le matériel d’art plastique et de créer spontanément, sans jugement sur la feuille devant elle. Assise en silence, elle trace des cercles de différentes couleurs avec un pastel, de plus en plus lentement. À la fin de la séance, elle murmure : « Je crois que je respire à nouveau. » Ce contact simple avec la création lui a fait prendre conscience qu’il existe un espace d’expression et de ressourcement au-delà des protocoles et des urgences.

Le burn-out, littéralement « se consumer », touche aujourd’hui un nombre croissant de personnes, professionnels, parents, étudiants, proches aidants... Il naît d’un stress prolongé entre les exigences du travail (ou de l’activité) et la capacité de récupération, mais aussi du manque de reconnaissance, de temps, où on perd de vue le sens de ce que l’on fait. Loin d’être un signe de faiblesse, l’épuisement traduit souvent un surcroît d’engagement dans des contextes d’ultra-productivité. Avant d’en arriver à la rupture, il est pourtant tout à fait possible de faire plusieurs choses pour l’éviter.
L’art-thérapie (facilité par un-e professionnel-le dûment formé-e) offre un espace de prévention et de régulation : un lieu où l’on peut s’exprimer sans tabous, ressentir pleinement ce qui est là, et transformer cette charge en résilience. L’acte de créer offre à la personne épuisée un havre où déposer ses difficultés, sans avoir forcément à en parler. Cet espace peut soutenir la prévention du burn-out.
Le burn-out en 2025 : une fatigue collective
En 2025, le burn-out n’est plus une exception, mais un symptôme de notre société moderne. Les séquelles de la pandémie ont laissé des traces : surcharge numérique, flou entre vie privée et professionnelle, perte du mouvement collectif. Les métiers du soin, de l’éducation, du social et des technologies demeurent les plus touchés, surtout dans les secteurs fondés sur la vocation, la performance ou la disponibilité constante.
Selon l’Organisation internationale du travail (2024), 22 % des employés européens présentent un niveau élevé d’épuisement professionnel. En France, les baromètres d’Empreinte Humaine estiment à 34 % le nombre de salariés en burn-out, dont 7 % sévère. Au Canada, 47 % des travailleurs se disent « à bout », et aux États-Unis, les sondages Gallup (2025) évoquent 66 % de travailleurs américains à risque d’épuisement.
Les symptômes sont les suivants : fatigue persistante, cynisme, irritabilité, désengagement, perte de sens. Généralement, le corps est celui qui s’arrête, alors que l’esprit pensait pouvoir continuer. C’est alors que la personne se rend chez le médecin pour demander un arrêt de travail, qui sera rémunéré (ou non).

Causes principales : du système à l’individu
Le burn-out n’est pas un effondrement soudain, mais un processus d’usure progressive. Les recherches de Christina Maslach et Michael Leiter (2022), deux spécialistes américains du burn-out identifient six facteurs qui y contribuent :
- charge de travail excessive
- manque de contrôle sur les décisions
- manque de reconnaissance
- perte de lien avec la communauté
- conflits de valeurs avec la direction
- injustice perçue
Ces failles, lorsqu’elles s’accumulent, créent une érosion de la motivation et de la santé psychique de l’individu, qui se sent aussi isolé.

Dans le système de santé, cela se traduit par des effectifs insuffisants et un temps réduit pour être à l’écoute des patients, avec toujours davantage de bureaucratie. Chez les enseignants, ce sont des classes surchargées et des règlements de plus en plus rigides, alors que les conditions de travail qui se dégradent.
À ces aspects externes s’ajoutent des traits individuels: perfectionnisme, hyper-responsabilité, loyauté, culpabilité, lier sa valeur exclusivement à son travail. Le burn-out atteint celles et ceux qui donnent beaucoup, trop longtemps, sans réel soutien de leur direction qui les tient pour acquis.
Le cycle du stress au travail
Le burn-out est lié à un stress récurrent, ou il n’existe pas de temps et d’espace suffisants pour la récupération. La chercheuse québécoise Sonia Lupien (2009) rappelle que le stress (cortisol) est une réaction biologique normale : le cerveau répond à une menace perçue et le corps mobilise beaucoup d’énergie pour se mettre en action (système sympathique). Dans un cycle normal au travail, après l’expérience du stress, le corps va se calmer et prendre du repos (système parasympathique).
Dans le livre « Burnout: The Secret to Unlocking the Stress Cycle », Emily & Amelia Nagoski (2019) suggèrent que la créativité fait partie des stratégies pour boucler le cycle de régulation du stress.
En effet, si en raison d’un rythme effréné de travail, des conflits récurrents, la tension du stress ne peut jamais se décharger, elle va finir par s’accumuler dans le corps jusqu’au point de rupture : la personne, vidée ne peut même plus aller travailler.

Les clés pratiques pour compléter le cycle du stress (avant l’épuisement) :
- Mouvement : marche, danse, respiration rapide, sport, cri, pleurs.
- Créativité : dessin, peinture, carnet, écriture, chant, collage
- Relations : étreinte, conversation, rire ou jouer ensemble
- Ne rien faire : repos, silence, lenteur, nature, gratitude et vacances.
L’art-thérapie : un espace différent pour se déposer
L’art-thérapie est une approche thérapeutique qui utilise le langage visuel des arts plastiques pour permettre l’expression, la régulation émotionnelle et une exploration de rythmes différents. En prenant le temps de « jouer » et de créer sans but, avec la permission de ralentir, la personne peut prendre de la distance sur son état.
L’art-thérapie présente plusieurs dimensions qui sont utiles pour la prévention du burn-out :
- Langage symbolique : la création permet d’exprimer les tensions et les frustrations de façon métaphorique sans s’exposer verbalement.
- Processus créatif : il réveille la spontanéité ludique et donne le pouvoir de choisir à la personne, ce qui lui redonne de l’agentivité.
- Dimension somatique : le geste créateur met le corps et les sens en mouvement. La personne va se connecter davantage à son corps et l’écouter.
- Choix différents matériels d’art : apprivoisement des dimensions tactiles, perceptives, sensorielles, symboliques, etc…
- Dimension alchimique de la créativité : transformation des conflits, émotions, sensations par la créativité (couper, déchirer, modeler, couvrir, défaire, recomposer…).

Revue de littérature : de la prévention en groupe
Plusieurs études anglo-saxonnes soulignent la valeur de l’art-thérapie pour éviter l’épuisement professionnel en amont. L’art-thérapeute propose de créer, justement hors du contexte de productivité, et cela permet au groupe de s’exprimer et de se ressourcer avant le point de non-retour. Certaines institutions sont sensibilisées au haut taux d’épuisement et d’arrêt de travail de leurs employés et se sont ouvertes à ces initiatives.
Les recherches de Tjasink et al. (2023, BMC Health Services Research) regroupent 27 études menées dans 13 pays auprès de 1 580 soignants. Les interventions d’art-thérapie en groupe associent création et partage collectif (pour ne pas se sentir seul-e). Les effets observés sont une baisse de la fatigue émotionnelle, réduction du stress et une meilleure cohésion d’équipe. Les participants disent apprécier cet espace créatif où « l’on peut se ressourcer sans devoir performer ou en parler ».
Le protocole Mindful-Compassion Art-Based Therapy (MCAT), développé par Ho et al. (2019), combine art-thérapie, pleine conscience et auto-compassion. Les personnes qui luttent pour continuer à travailler sans se reposer sont souvent très dures envers elles-mêmes. En six séances, les chercheurs ont vu diminuer les indicateurs de burn-out. Cette approche de pleine conscience combinée à la création artistique agit directement sur le système nerveux, ce qui donne une sensation de repos somatique.

En Angleterre, les chercheuses Huet & Holttum (2016) proposent des séances d’art-thérapie antistress à des professionnels de la santé: Le groupe observe une œuvre d’art, puis est invité à créer à partir de sa résonance à l’image. Ce type de workshop en groupe aide à diminuer la charge émotionnelle, soutient la communication et la reconnaissance mutuelle au sein de groupes de collègues.
Dans sa thèse universitaire, la québécoise Sonia Brault (2023) suggère l’art-thérapie somatique comme processus d’écoute corporelle, pour mieux écouter les signaux de fatigue avant qu’ils ne deviennent aigus. Dans son étude auprès de femmes en post-burn-out, le travail avec la matière (argile, encres, peinture fluide) permet de retrouver le contact avec son corps, première étape vers le retour à l’équilibre.
La psychologue belge Nathalie Hanot propose le « journal créatif de burnout » pour les personnes qui se remettent d’un burnout, combinant collage, écriture et dessin à faire soi-même à la maison. C’est un outil pratique à faire soi-même à la maison avec des matériaux simples et comme un journal intime, cela permet de se connecter à soi-même, pour prévenir l’épuisement.

Comment l’art-thérapie agit-elle concrètement ?
Les mécanismes de prévention passent par ces sept leviers:
- Autorégulation corps-émotions
L’action de créer, la respiration et l’utilisation des matériaux, de la couleur recalibrent le système nerveux autonome (ancrage sensoriel, rythmes répétitifs, mandalas). On s’extrait de l’hyper-vigilance et on donne de la place au corps pour récupérer. Ce « réglage fin » peut être entretenu par des micro-rituels créatifs (5–10 minutes) entre deux réunions, un levier concret de prévention. - Symbolisation et sens
Les métaphores visuelles, les images des rêves, permettent de représenter autrement les thèmes liés à l’épuisement et de les explorer avec une certaine distance. Dans les groupes d’art-thérapie par Huet & Holttum, la discussion d’une œuvre sert de brise-glace : on partage sans se dévoiler, on met en commun des ressentis souvent tus au travail. La prévention, ici, c’est nommer plus tôt, en groupe, ce qui contribue à l’usure et au manque de motivation. - Agentivité et estime de soi
Prévenir le burn-out, c’est aussi réactiver le pouvoir de la personne d’agir. Choisir une couleur, remanier une image, jouer avec la fluidité de la peinture… Ces micro-choix nourrissent l’estime personnelle, un facteur inversement corrélé au burn-out (méta-analyse Shoji et al., 2015). Zubala & Karkou (2018) montrent combien la création soutient la reconstruction du sens, qui est un facteur de protection pour éviter l’épuisement. - Aborder la cohésion et climat de travail
La prévention se fait aussi de manière sociale. Les projets collectifs, des journaux créatifs partagés, « galerie photos » en équipe : on active le sens de la communauté et la solidarité de manière créative. - Présence de l’art-thérapeute : la relation thérapeutique, gardienne du cadre et de la confidentialité, et du non-jugement est un élément majeur guidant la personne ou le groupe vers plus de clarté et de capacité de récupération.
- Matériel simple : pastels, papier, images, argile, encres. L’essentiel n’est pas la technique, mais la permission du cadre : processus plutôt que résultat, absence d’évaluation, rythme ajusté et permission de jouer.
- Séances de groupe courtes : 45 à 60 minutes toutes les deux semaines (Ho & Al). Elles s’intègrent plus facilement à l’emploi du temps. Ce rythme, à la fois régulier et espacé, donne un espace qui offre du repos dans le contexte même du travail.

Trois études de cas de prévention du burn-out
Cas 1 — Claire, infirmière
Claire travaille depuis dix ans dans une unité palliative où la charge émotionnelle est pesante. Sentant venir la fatigue de compassion, elle rejoint un programme d’art-thérapie inspiré de la pleine conscience. Chaque séance débute par une respiration consciente, suivie d’un dessin libre autour du corps et des sensations internes. Les premiers dessins qu’elle fait sont petits, aux motifs enchevêtrés en noir et blanc. Au fil des séances, la couleur fait son apparition. Dans un de ses dernier collage, une ligne lumineuse sépare deux silhouettes, elle et ses patients. « Cette ligne, dit-elle, c’est l’espace qui me permet d’être plus présente à l’autre, sans me vider. ».

Cas 2 — Thomas, cadre dans la tech
Perfectionniste et loyal, Thomas ressent des signes de saturation dans une période de restructuration de son entreprise, où son patron compte sur lui. Ayant entendu parler d’art-thérapie, il demande à suivre des séances, dans le programme d’aide aux employés. Après discussion avec l’art-thérapeute, il porte son choix sur la création d’un masque, pour représenter les aspects intérieur/extérieur. L’extérieur est bleu acier, symbole de contrôle ; l’intérieur, une spirale rouge et texturée. Il lui faut plusieurs séances pour faire émerger les valeurs sur lesquelles il veut s’appuyer dans son travail. En créant un collage de ressources, il redécouvre ses piliers : « authenticité », « souffle », « équilibre » « réciprocité ». La démarche en art-thérapie a fait émerger ce qu’il doit mettre en place dans son travail pour retrouver la motivation de ses débuts.

Cas 3 — Sophie, enseignante
Isolée et stressée après des conflits au travail, Sophie rejoint un atelier d’art-thérapie en groupe. Le matériel de création proposé permet à l’équipe de jouer ensemble dans un contexte plus détendu. L’art-thérapeute présente aux participants un livre d’œuvres d’art, inspirées de la nature. En duo avec une collègue, Sophie choisit une image qui lui parle. Elles discutent autour de cette image avant de s’en inspirer pour créer avec des pastels. Au fil des séances, le groupe se retrouve à utiliser les talents de chacun-e pour l’élaboration d’une fresque collective qui servira de clôture. À la fin, l’équipe se dit plus soudée et capable de travailler ensemble harmonieusement.

Conclusion
Prévenir le burn-out, c’est réhabiliter une conscience de son lien au travail et les raisons pour lesquelles on s’y use. Au milieu de multiples approches pour soutenir les personnes à ne pas s’épuiser au travail, l’art-thérapie offre une perspective créative et profonde à la fois. Les études de Maslach & Leiter (2022), Ho (2019) et Tjasink (2023) convergent : les dispositifs d’art-thérapie qui favorisent la symbolisation, la régulation corporelle et la cohésion d’équipe réduisent durablement le risque associé au burn-out.
Créer, c’est apprendre à boucler le cycle du stress, restaurer la relation avec le corps et retrouver le sens de sa contribution au travail. Les ateliers d’art-thérapie, qu’ils soient en entreprise, à l’hôpital ou en formation, offrent ces espaces permissifs et surprenants où la créativité offre ce repos nécessaire. Dans la couleur, le geste ou la matière, chacun peut réapprendre à se préserver pour durer, à transformer l’usure en mouvement, à rester vivant dans ce qu’il fait. Peut-être que les personnes décideront de changer de poste ou d’entreprise, qui sait?
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Références
- Brault, S. (2023). Le burn-out et l’approche art-thérapeutique somatique [Essai de maîtrise, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue]. UQAT.
- Gallup. (2025). State of the global workplace: 2025 report. Gallup Press.
- Hanot, N. (2023). Le journal créatif du burn-out. Le Souffle d’Or.
- Ho, A. H. Y., Tan-Ho, G., Ngo, L. Q., Choo, S. L., Kua, E. H., & Lee, W. L. (2019).
Mindful-Compassion Art-Based Therapy (MCAT) for reducing burnout and promoting resilience among healthcare workers: A randomized controlled trial. Frontiers in Psychology, 10, 426. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.00426 - Huet, V., & Holttum, S. (2016).
Art therapy-based groups for work-related stress with staff in health and social care: An exploratory study. The Arts in Psychotherapy, 50, 46–57. https://doi.org/10.1016/j.aip.2016.06.003 - International Labour Organization. (2024). Work-related stress: Global trends and challenges. ILO.
- Lupien, S. J., McEwen, B. S., Gunnar, M. R., & Heim, C. (2009). Effects of stress throughout the lifespan on the brain, behaviour and cognition. Nature Reviews Neuroscience, 10(6), 434–445.
- Maslach, C., & Leiter, M. P. (2022). The burnout challenge: Managing people’s relationships with their jobs. Harvard University Press.
- Nagoski, E., & Nagoski, A. (2019). Burnout: The secret to unlocking the stress cycle. Ballantine Books.
- Organisation mondiale de la Santé. (2020). Burn-out: An “occupational phenomenon” – International Classification of Diseases 11th Revision. OMS.
- Tjasink, M., Keiller, E., Stephens, M., Carr, C. E., & Priebe, S. (2023).
Art therapy-based interventions to address burnout and psychosocial distress in healthcare workers: A systematic review. BMC Health Services Research, 23(1), 1059. https://doi.org/10.1186/s12913-023-10159-4 - Zubala, A., & Karkou, V. (2018). Arts thérapies in the treatment of depression: International research in the arts thérapies. Routledge.
Lectures suggérées (en français)
- Questionnaire pour évaluer le Burnout (Maslach Burnout Inventory) français: https://www.mgfrance.org/images/utilitaires-medicaux/test-maslach_burn-out.htm
- Pourquoi les femmes font des burn out: Le guide pour en finir avec le cercle infernal du stress (2023) de Emily Nagoski, Amelia Nagoski
- Burn-out: Le syndrome d'épuisement professionnel (2011) de Christina Maslach, Michael P. Leiter , et al
- Guide du burn-out, comment l’éviter, comment s’en sortir (2019) de Anne Everard
- Se reconstruire après un burn-out (2022) de Sabine Bataille
- Je suis épuisé-e! : Stress, surmenage, burn-out : le guide pour reprendre le contrôle (2021) de Cathy Assenheim
- Burn-out : ce n'est pas votre faute mais c'est peut-être votre chance - Comment l'éviter ? Comment en sortir ? Comment se reconstruire ? (2021) de Emmanuelle Wyart
- Prévenir et soigner le burn-out pour les Nuls (2022) de Marie Pezé
- Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés: (Journal de la consultation «Souffrance et travail») (2010) De Marie Pezé
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